Depuis plusieurs décennies, l?irrigation au goutte à goutte est présentée comme une solution possible aux problèmes d'eau, d'alimentation et de pauvreté touchant la planète. La grande majorité des publications scientifiques ou des politiques abordant le sujet considèrent le goutte à goutte comme une innovation technique qui auraient des caractéristiques intrinsèques-l?efficience, la productivité et la modernité. Sur la base de recherches comparatives menées en Afrique du Nord et de l?Ouest et en Asie du Sud, nous démontrons que de nombreux acteurs contribuent à façonner cette représentation positive partagée dont la légitimité est ancrée dans une perspective d'ingénierie qui érige technologie et potentiel en 'réalités' indépendantes du contexte d'utilisation. Nous n'attribuons pas le statut d'innovation à succès qu'a pu acquérir le goutte à goutte à de soi-disant caractéristiques techniques intrinsèques mais plutôt à sa capacité à faire écho à divers contextes et discours qui dépeignent des futurs souhaitables et souhaités. Nous adoptons ainsi une autre perspective sur l?innovation et la technologie; dans cette dernière, le 'réel' (le matériel goutte à goutte) n'acquiert ses caractéristiques qu'au travers des institutions, discours et pratiques qui contribuent à lui donner une existence. Une telle perspective permet de mettre à jour les ajustements itératifs entre matériel et contexte et les considère comme des éléments à part entière, et non des externalités, du processus d'innovation.