Le grand projet agricole est généralement présenté comme un isolat surimposé à une réalité locale avec laquelle il entretient peu de liens. Pour les grands projets agricoles, ce paradigme a deux conséquences. D'une part, il réduit le contexte local à un réservoir de ressources voire à une table rase. D'autre part, il fait du grand projet agricole un dispositif spatial à contre-courant des trajectoires locales, portées par la reconnaissance des droits des populations et de l'environnement. Anachronique, les grands projets agricoles ne retiennent plus l'attention des chercheurs. Pourtant, dans les espaces périphériques des Suds, ils structurent les dynamiques locales. En Bolivie, dans la partie amazonienne du département de La Paz, une usine sucrière (financée par des fonds publics) a suscité le développement des plantations de canne à sucre. Le projet a été conduit envers et contre toute logique économique ou agronomiques pour répondre à des enjeux territoriaux nationaux. A Mocajuba, un municipe au sud de Belem (Etat du Para), le palmier à huile s'est développé à partir des années 2015, à partir d'un consortium public privé BBB (Belem Bioenergia Brasil) participant ainsi à une stratégie nationale de développement des biocarburants. A partir de ces deux cas d'étude nous proposons de repenser le grand projet agricole en s'affranchissant du paradigme de l'isolat qui conduit le plus souvent à se concentrer sur son insertion à l'échelle nationale, lorsqu'il s'agit de projets liés à l'aménagement du territoire comme pour la canne à sucre dans le Norte La Paz, ou portés par des logiques commerciales, comme c'est le cas du palmier à huile à Mocajuba. En particulier, les contraintes physiques et les résistances sociales locales serviront de fil conducteur pour penser d'une part, la complexité du déploiement d'un grand projet dans des périphéries et d'autre part, le rôle de ces périphéries, qui, loin d'être dominées sont avant tout marquées par une autonomie croissante.